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Le contexte social, professionnel, mais aussi écologique ou politique qui est le nôtre nous conduit à chercher des repères qui font défaut. A la place qui est la sienne, le management, ou, dit autrement, la manière de conduire les hommes et les femmes dans les entreprises, les services et autres lieux de travail, ce management, est confronté à des regards différents, voire parfois contradictoires. Entre le salarié, par ailleurs tout à fait irréprochable et même excellent dans son travail, qui n’entend pas pour autant passer une minute de plus quand ses horaires sont terminés, et le manager qui ne compte pas ses heures, et s’attend à un service urgent, y compris après 18 heures… l’incompréhension n’est pas loin.
L’un et l’autre sont dans leurs logiques, et ce ne sont pas les mêmes.
PARTIE 1 : QUELS REPÈRES POUR MANAGER ?
Les décennies passées ont laissé des traces, tant dans une approche plus productiviste que dans une gestion de l’humain qui aujourd’hui n’est plus la même, ne peut plus être la même.
Il n’est pas question, ici, de juger si une époque est meilleure qu’une autre. Les nostalgiques au jeu des comparaisons ne font guère progresser l’humanité, pas plus que les idéalistes aux désirs parfois irréalistes et, là aussi, plus stériles qu’efficaces. Réunir dans une même entreprise, des personnes d’âges, de sexes, de parcours, de bagages différents, ce n’est pas recomposer une forme de nouvelle tour de Babel, c’est au contraire, comme la vie elle-même, faire le pari que les différences seront des richesses pour l’entreprise. « Avec l’allongement de la durée de travail, quatre générations et cinq classes d’âge se côtoient aujourd’hui au sein des entreprises », Travail : comment réussir à manager 4 générations, in Les Echos Executive, 7 octobre 2019. On évoque d’ailleurs de plus en plus souvent désormais la Gestion RH, comme la Gestion des Richesses Humaines plutôt que la Gestion des Ressources. Les mots ont un vrai sens.
Il nous faut donc plutôt conjuguer notre temps aux contraintes de notre nouvel environnement et aux attentes des personnes qui les mettent en œuvre, plutôt que chercher à imposer un modèle qui n’est plus en phase avec son temps.
Des repères changeants
En effet, les différents repères qui avaient places dans un monde pas si lointain, ne sont plus. L’aspiration à une forme de stabilité, prélude à une installation pérenne dans leur vie, n’est plus le nirvana des nouvelles générations qui voient parfois dans la CDIsation une chaîne qui les priverait de liberté. A contrario, les plus anciens ne comprennent pas toujours qu’un jeune s’inscrive dans une perspective de mobilité qui, d’une certaine manière, coupe tout intérêt à la transmission « puisqu’il ne va pas rester ! ».
Les aspirations liées au temps, à l’espace, apparaissent aujourd’hui comme désuètes. L’attente est ailleurs. Portée par un besoin du tout-tout-de-suite, la trajectoire du temps veut aussi trouver rapidement une rémunération facile, rapide et durable. Les uns diront alors que le sens de l’effort a disparu, et factuellement, ils ont raison. Mais d’autres qualités viendront « compenser », remplacer en tous les cas cette attente déçue. Davantage de souplesse, une adaptabilité plus grande, une capacité parfois à relativiser, ou une propension à gérer l’humain plus que la rigidité d’une hiérarchie complexée, autant de qualité, ou tout au moins de postures novatrices.
Les nouvelles générations, en fait, ont leurs repères qui ne sont plus ceux de l’entreprise traditionnelle. Le concept même d’appartenance fait peur, alors qu’il a pu être moteur pour des générations entières, tant du côté des dirigeants que des salariés. L’argument souvent premier d’un salarié licencié était de dire : « J’ai toujours travaillé dans cette boîte ! et voilà comment je suis remercié ! ».
Précisément, il ne serait pas impossible que ce type de situation où le travail fidélisé n’a pas été reconnu, où des personnels inscrits dans un environnement professionnel depuis longtemps, et qui se voient licenciés du jour au lendemain, sans autres formes d’explication, il ne serait pas étonnant que ces situations conduisent précisément les plus jeunes à ne pas rechercher ce qui peut leur apparaître, soit comme injustices, soit comme ingratitudes. Or, tous, ils ont dans leur environnement plus ou moins proche des situations analogues. C’est aussi ce qui participe à la construction de leur identité sociale et professionnelle.
Le sentiment d’appartenance n’est alors plus une attente, presque une crainte.
Compétences transversales plutôt qu’ajustement vertical
Longtemps, la formation reçue permettait de remplir l’attendu précis d’une entreprise. On était formé, d’ailleurs souvent dans l’entreprise, (parfois formaté) pour tel type de tâche, telle mission, dans une forme d’ajustement vertical et on pouvait durablement y exceller, voire démontrer des aptitudes encourageant ainsi des progrès et des promotions dans la verticalité de l’organigramme. C’était cette motivation aussi qui générait un dépassement de soi révélateur de potentiels ou démonstrateur d’ambitions.
Aujourd’hui, les formations tendent à développer des compétences. Or, ces compétences ne sont pas « attachées » à une tâche précise, à un poste précis, ou même encore moins, à une entreprise précise. La compétence – c’est-à-dire l’ensemble des savoirs (connaissances), des savoir-faire (pratiques) et des savoir-être (comportements relationnels) mis en œuvre pour remplir les tâches attendues – est davantage horizontale et même transversale. Ainsi, un nouveau collaborateur qui a travaillé sur tel logiciel n’aura pas de mal à s’adapter à tel autre parce que les process sont les mêmes. Il n’a pas été formé, d’abord, à ce logiciel, mais avant tout, il a été préparé à travailler sur des logiciels qui fonctionnent avec les mêmes schèmes conceptuels. La nouvelle manière de parler des compétences entre skills « hard », « soft » ou « mad » s’inscrit dans ces changements. Nous y reviendrons dans de prochains billets.
Cette nouvelle manière de manager, et d’être managé, favorise le travail en temps partagé. Des organismes se mettent au service d’un secteur (souvent géographique) afin de favoriser la répartition de personnels entre des structures diverses, sans liens entre elles, mais ils permettent à un salarié de travailler deux jours dans l’une, trois jours dans l’autre, sans soucis.
Cette mutation conforte l’idée que d’autres relations, d’autres contractualisations sont désormais possibles, et elle inscrit la modularité comme une donnée durable.
Un management sans boussole
Ainsi, face à ce qu’il faut bien nommer l’accélération de l’évolution du monde (et surtout cette évolution de ce qui était socle pour le monde du travail), certains managers sont démunis. Quelles valeurs, quelles habitudes, quels repères ou tout simplement, quelles organisations faut-il avoir ? Les logiques managériales sont obsolètes, et surtout aussi stériles qu’inadaptées.
Dans la même logique, même si le regard est dans le miroir des relations hiérarchiques, le salarié n’est pas davantage rassuré. Ce qui fait sa vie, ses projets, ses attentes lui semblent parfois à l’opposé de ce qu’il observe. La sphère travail n’est plus sa vie. L’évolution de la législation lui a laissé entendre que les temps hors travail lui permettraient un épanouissement, une qualité de vie qu’il n’a donc plus de raison de chercher dans l’entreprise. Passer du temps avec des collègues en dehors du temps de travail c’est une continuité du travail qui ne lui correspond pas, ou plus, même si dans certaines entreprises, les afterworks redeviennent des rituels fédérateurs d’équipes. Pourtant jamais autant qu’aujourd’hui les formations demandées autour du bien-être en entreprise, autour de la gestion des relations, autour du vivre ensemble, n’ont été aussi nombreuses. « Améliorer les relations » est même devenu l’Eldorado de nombre d’organismes de formation.
La motivation au travail est donc autre. Chacun a la sienne. Et il faut faire avec, sauf à s’attendre à des tensions, à des différends générés par les différences de vision.
Le logiciel de la gestion des hommes et des femmes n’est donc plus le même. Les boussoles qui permettaient de se repérer dans l’entreprise, ont changé de cap. Le nord des certitudes n’aimante plus les adhésions parce que d’autres ondes, d’autres satellites gravitent autour de la sphère professionnelle et, faute de les connaître, certains managers suivent un cap qui conduit à l’échec.
Bruno Le Guerroué
Coach certifié
A suivre…
Partie 2 : DE NOUVELLES PERSPECTIVES DE MANAGEMENT ?